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L’écrivain américain Philip Roth publie un roman qu’il annonce comme le dernier. Magistral !

Par Valérie Trierweiler – Paris Match


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Il assure que c’est le dernier. Philip Roth aura 80 ans l’année prochaine, et le voilà qui tire sa révérence avec « Némésis », ultime volet du cycle dont ce roman porte le nom. Il se consacrera désormais au classement de ses archives, tout en ­assurant qu’il n’a pas l’obsession de l’écriture. Pourtant, ­depuis « My Life as a Man », Roth aura signé dix-sept ouvrages. Il nous avait habitués à nous livrer, chaque début d’automne ou presque, son lot de feuilles bien vivantes. Dans « Némésis », paru aux Etats-Unis en 2010, la mort rôde à chaque page. Commençons par fournir une clé : Némésis, dans la mythologie grecque, incarne la déesse « de la juste colère des dieux », qui peut représenter la vengeance divine et être la messagère de la mort. L’histoire imaginée par Philip Roth n’est qu’un prétexte pour engager une ­réflexion sur le désir et le devoir. Le ­lecteur découvrira dans cette fiction des éléments de vie de l’écrivain, qui campe l’histoire à Weequahic, un quartier pauvre de Newark où il a grandi. Roth est un petit-fils d’immigrés juifs originaires de Galicie, comme son personnage principal. Les autres protagonistes sont pour la plupart juifs, et une lecture plus ­approfondie nous révèle les souffrances liées à la persécution de cette communauté. Nous ignorons qui endosse le costume du narrateur, il faudra attendre les dernières pages pour le découvrir. Laissons donc aux lecteurs le soin de lever le voile. Le personnage principal se nomme Bucky Cantor, et le début de ses aventures se situe au cours de l’été 1944.

Une ­réflexion sur le désir et le devoir

Les Etats-Unis sont engagés aux côtés des Alliés de l’autre côté de l’Atlantique et l’histoire se superpose à la tragédie qui s’abat sur Weequahic. Bucky est un recalé. Contrairement à ses deux meilleurs amis, il n’a pas été admis dans l’armée. Malgré son corps d’athlète, la précision de son lancé de javelot et son immense sens du devoir, sa vue déficiente ne lui a pas permis de revêtir les habits du héros.Chaque jour, il suit le déroulement des opérations militaires en France pour mieux imaginer ce qu’endurent ses deux ­copains. A 23 ans, il se fait engager comme professeur d’éducation physique auprès de gamins qui ressemblent à s’y méprendre à l’enfant qu’il était. Bucky n’a pas été épargné par la vie, sa mère est morte alors que son père était arrêté pour vol. Recueilli par ses grands-parents, il est élevé dans leur épicerie. Devenu adulte, son engagement auprès de ceux qui ne partent pas en vacances est total. Encore davantage quand survient le drame : la polio débarque au moment même où ses deux camarades s’apprêtent à être parachutés. La maladie tue un premier enfant.

Les cas mortels sont rares et le plus célèbre poliomyélitique des Etats-Unis, le président ­Franklin Roosevelt, avait démontré qu’on pouvait s’en relever. Mais la maladie s’étend et s’acharne sur deux enfants de 12 ans, fauchés à leur tour par la mort. D’autres victimes tombent comme sur un champ de bataille. La peur s’empare de la bourgade. A juste titre. L’épidémie terrasse de nombreux innocents. Bucky ne renonce pas, il continue à entraîner les mômes malgré le danger. Jusqu’à ce que la jeune fille dont il est tombé amoureux lui demande instamment de la rejoindre dans le camp de vacances où elle se trouve bien à l’abri. Il refuse. Pas question de quitter les gosses malades ni les vaillants. Et encore moins sa grand-mère vieillissante, dont il s’occupe. Mais Bucky change soudain d’avis ; il capitule devant l’avancée de la maladie. A peine réfugié dans les bras de sa fiancée, le voilà rongé par le ­remords d’avoir délaissé sa mission. Il veut repartir puis décide de rester. Un premier cas de polio se déclare dans le camp, jusqu’alors sain. Au même moment, l’un de ses deux meilleurs amis est abattu en France. De cette valse hésitation, de cette mauvaise décision découleront des années noires. Bucky se punira toute sa vie durant, pour avoir écouté son cœur quand la ­raison lui intimait de ne pas abandonner son poste. La culpabilité le ronge autant que la maladie. Le renoncement l’emporte définitivement. Le devoir devient la conclusion de cette fable un brin moralisatrice, comme si Philip Roth signait là sa leçon de vie ou… son ­testament.

« Némésis », de Philip Roth, éd. Gallimard, 225 pages, 18,90 euros.

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