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En Galicie, un sculpteur incendiait la Passion
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Qui est Johann Georg Pinsel, sculpteur baroque du XVIIIe siècle, héros méconnu du nationalisme ukrainien, dont l’oeuvre est présentée au Louvre, jusqu’au 25 février 2013 ? Un Jeff Koons du siècle des Lumières qui met en scène des saints en extase dans les choeurs des églises ? Un Picasso qui exalte les figures des Evangiles et les habille de tourbillons à facettes pour transmettre la parole divine ?
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Pinsel sculpte l’action, la tension, le drame à venir. Une manière qu’il perfectionne sur de petites esquisses, boules d’énergie, toutes en torsion, dégrossies avec sa gouge dans le bois nu, jusqu’à atteindre l’épure du mouvement. Retrouvées à Munich, en 1999, ce sont les uniques témoins de ce travail préparatoire.
Son nom signifie “pinceau”, la seule chose ou presque que l’on sache de sa vie privée. Ni sa date de naissance – vers 1720 ? – ni celle de sa mort – 1761 ou 1762 – ne sont certaines. En 1751, il se marie à Buczacz, en Galicie, à l’extrême ouest de l’Ukraine, qui fut tour à tour polonaise, autrichienne, russe, et dont il réalise les statues de pierre de l’hôtel de ville. En 1761, il reçoit le paiement des dernières commandes.
Son mécène, Mikolaj Bazyli Potocki, roitelet local aux moeurs dépravées, un fripon pervers jamais rassasié, entretient une armée privée de 3 000 hommes. Ce Barbe-Bleue finance, pour faire pardonner ses fautes, la construction d’une centaine d’églises. Amateur d’art averti, il s’adresse à l’architecte Bernard Meretyn, venu, dit-on, de Côme, en Italie, et à Pinsel, établi à Buczacz, pour la mise en scène du message divin.
Dans les nefs, le paysan analphabète est au théâtre. Les géants de Pinsel – deux mètres de haut – sont des pantomimes qui interprètent l’Ancien et le Nouveau Testament. “L’artiste travaille dans un contexte de militantisme de l’Eglise, précise Guilhem Scherf, conservateur en chef au département des sculptures du Louvre et commissaire de l’exposition. Le public ne connaît pas les Ecritures. Il faut qu’il comprenne le partage des rôles entre les bons et les méchants.” La Galicie est, au XVIIIe siècle, polonaise. “C’est une terre de mission pour l’Eglise catholique, frontalière du monde russe orthodoxe, à l’est, et du monde musulman ottoman, au sud, précise Guilhem Scherf. Entre le sabre et le goupillon, les paysans cultivent la terre, surveillés par des milices. Le seigneur local, aux confins du royaume, ne rend de comptes à personne. La seule force, face à lui, c’est l’Eglise.”
L’Eglise, ultime recours du peuple en quête de liberté, est un thème récurrent à Lviv, capitale de cette Galicie où, aujourd’hui encore, les églises meublées comme des salons rococo font le plein. Aux offices, jeunes, vieux, femmes, hommes de tous âges, debout, à genoux dans les travées, reprennent d’une même voix puissante les chants religieux.
Lviv est à 70 kilomètres de la frontière polonaise. Ses ruelles pavées rappellent Cracovie ou Prague. Les ocres, roses, orangers des Habsbourg, qui ont dominé l’Europe centrale jusqu’en 1918, égaient le vieux centre. A chaque carrefour, un café, une église. Les deux bondés. “En Ukraine, il y a une vraie croyance. On vit une certaine renaissance religieuse”, témoigne Vladimir Karachensev, qui fut longtemps consul général à Naples. Une ferveur qui se lit dans les gestes minutieux des laborantins en blouse blanche venus de Kiev restaurer, sous la houlette de Svitlana Strelnikova, les dix- neuf sculptures rescapées de Pinsel, avant leur départ pour le Louvre.
Sans la détermination de Boris Voznitsky, l’ancien directeur de la Galerie des beaux arts de Lviv, toute l’oeuvre de l’artiste aurait disparu. La razzia des églises, commencée sous Staline, s’était intensifiée avec Krouchtchev. “Les milliers d’oeuvres d’art, considérées comme dangereuses du point de vue idéologique, avaient été confisquées, détruites ou brûlées, racontait Boris Voznitsky, quelques jours avant sa mort, en avril, dans un accident de voiture, alors qu’il préparait l’exposition que l’on peut voir aujourd’hui au Louvre. Dans l’ancienne Galicie orientale, on comptait 500 églises catholiques romaines. Mais, à l’époque soviétique, seules quatre servaient encore au culte.” Les autres étaient devenues des entrepôts à céréales.
Face au désastre, Boris Voznitsky s’est activé. Il a lancé des expéditions, de repérage d’abord, à “motocyclette”, pour revenir ensuite avec un camion d’emprunt sauver ce qui pouvait l’être. “J’étais le premier historien d’art soviétique à Lviv. Je n’avais peur de personne : mon passé militaire me plaçait au-dessus de tout soupçon”.
En cinquante ans, Boris Voznitsky aura ainsi récupéré des centaines de sculptures, celles de Pinsel, mais aussi celles de ses disciples. Un butin qui repose sur 3 000 m2, au château d’Olesko, l’une des innombrables forteresses de la région, phares de haute mer sur la steppe.
Sa première expédition fut pour l’église d’Hodowica, située à 15 kilomètres de Lviv. Avec une échelle, ne pouvant tout emporter, il choisit Abraham sacrifiant Isaac et Samson et le lion. A sa deuxième visite, toutes les autres sculptures gisaient en morceaux.
Cinquante ans plus tard, nous découvrons ce bijou de l’art baroque livré aux ronces. De la nef aux belles proportions, qui a perdu son toit, il ne reste que le squelette, en ruine, et un crépi rose fané. A l’intérieur, les arbres qui poussent ont remplacé les fidèles. De l’extérieur, la façade à l’italienne a fière allure, avec des courbes et contre-courbes pour bas flancs. Une simple verrière pourrait sauver ce témoignage, tel qu’il est.
Les sculptures du choeur d’Hodowica sont au Louvre, disposées dans l’ancienne chapelle de ce qui fut le palais des rois de France. On les découvre telles qu’elles étaient placées dans l’église ukrainienne. Avec son style très expressif, Pinsel veut émouvoir. Au pied de la croix, la Vierge s’essuie avec son voile comme le ferait une paysanne en larmes avec son chiffon. En contrebas, un Abraham effrayant s’apprête à trancher la tête d’Isaac d’un long sabre, barbe soulevée dans l’élan, muscles tendus comme des cordes. Le jeune garçon aux yeux bleus, à genoux sur un bûcher, mains liées, est résigné. L’effet – théâtral – est saisissant.
Voir aussi : le portfolio consacré à cette exposition au Louvre.
“Johann Georg Pinsel, un sculpteur baroque en Ukraine au XVIIIe siècle”, au Musée du Louvre, à Paris, Carrousel du Louvre, rue de Rivoli, Paris 1er, jusqu’au 25 février 2013. Tous les jours de 9 heures à 17 h 45, sauf le mardi. Les mercredis et vendredis jusqu’à 21 h 45. Entrée : 11 €. Gratuit pour les moins de 18 ans.
Catalogue, 175 p., 39 €, Louvre éditions/ Snoeck.
Sur le Web : www.louvre.fr.
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