NEW YORK (AFP) – La décision de Philip Roth de mettre un point final à sa carrière d’écrivain, à presque 80 ans, a ému et surpris le monde de la littérature américaine contemporaine dont il est l’un des auteurs les plus lus et primés.

L’annonce de la retraite de “l’un des lions de la littérature américaine”, comme le surnomme le journal The New York Observer, a été faite le mois dernier par le magazine culturel français, Les Inrockuptibles. Aux Etats-Unis, elle a fait son chemin progressivement, souvent dans l’incrédulité.

“Quand on sait à quel point il est habité par une obsession du travail permanent, c’est très surprenant”, déclare à l’AFP Ross Posnock, professeur de lettres à l’université Columbia et auteur d’un livre sur l’oeuvre de Philip Roth.

D’un point de vue “artistique” cependant, ce geste, “très fort”, se comprend, selon lui.

“Ses derniers romans étaient loin d’être aussi forts que le reste de son oeuvre” et il “n’a probablement plus l’énergie et le pouvoir de concentration” nécessaires pour écrire un nouveau chef d’oeuvre, comme “la Pastorale américaine”, “le Théâtre de Sabbath” ou “la Tache”.

Se faisant l’écho d’autres intellectuels ou hommes de lettres américains, comme le journaliste du New-Yorker, Adam Gopnik, M. Posnock se dit toutefois sceptique: “Il va certainement revenir sur sa décision. Je ne peux pas l’imaginer sans écrire”.

Qu’elle inspire, agace ou fasse l’objet des plus vives passions, la plume de Philip Roth, tour à tour adroite, drôle, sincère, satirique ou provocante, occupe une place majeure dans la littérature américaine de l’après-guerre.

Révélé avec fracas au grand public avec la parution en 1969 de “Portnoy et son complexe”, dans lequel un jeune héros aborde sur un ton comique et cru les affres de la masturbation masculine et le caractère obsessif de son rapport à la mère, à l’Amérique et à la judaïté, Philip Roth a construit au fil des décennies une oeuvre à l’influence immense.

“Il a libéré une nouvelle forme de langage en Amérique et a fait résonner une voix jamais encore entendue auparavant, un peu comme L’Attrape-coeurs de J.D. Salinger, mais une voix plus obscène, juive et urbaine, une voix nouvelle”, décrit M. Posnock.

Petits-fils d’immigrés juifs, originaires de Galicie en Europe de l’Est, et élevé dans la banlieue de New York, à Newark, dans le New Jersey, M. Roth s’est inspiré de sa vie personnelle pour alimenter son oeuvre.

Selon The Observer, M. Roth fait partie de cette école de “romanciers, poètes, dramaturges et essayistes (…) qui ont à la fois façonné l’évolution des lettres américaines et aidé à créer une nouvelle identité juive, de l’après-Holocauste” aux Etats-Unis.

“Pour un jeune auteur, c’est impossible d’y échapper, qu’on le déteste, qu’on le renie ou qu’on l’imite”, estime Ross Posnock, pour qui l’influence de celui qu’il considère comme le “plus grand romancier américain depuis William Faulkner” dépasse largement les limites de ses racines culturelles, religieuses ou géographiques.

Beaucoup de ses critiques voient la clef de son succès dans l’universalité de son message, exprimée dès son plus jeune âge: “Philip Roth s’inspire du rapport passionnel qu’il entretient avec l’être humain”, notait en 1962 le critique littéraire Orville Prescott, dans le New York Times.

Cinquante ans après, alors que ses romans occupent un rayon entier dans les bibliothèques, son départ “est bien plus qu’une mauvaise nouvelle, c’est un choc immense”, pour James Walton, du quotidien britannique The Telegraph.

“C’est un peu comme si Keith Richards abandonnait le rock-and-roll ou si le pape désertait la religion”, soupire le critique, qui demande au Comité Nobel d’accorder enfin à l’auteur un prix pour ses 53 ans de carrière, “en cadeau de départ”.

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